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L'Homme de Pékin

« Quand tu ne sais plus où tu vas,

Arrête-toi, retourne-toi,

Et regarde d’où tu viens. »

Proverbe africain.




De l’odyssée de l’espèce aux Derniers Secrets de l’Humanité




« Le hasard n’est que la volonté des dieux

qui veulent garder l’anonymat. »

Proverbe africain



Le covid n’existait pas et la Chine m’attirait. Je rêvais de tigres à dents de sabre, de gorilles de plus de deux mètres de haut et d’éléphants vertigineux. Mythique bestiaire… Je voulais arpenter les terres pelées et les forêts tropicales, voir les lacs d’altitude, sentir le froid polaire

et les touffeurs humides. « Viens…», disait la Chine. Je n’y avais pourtant aucune attache, nulle connaissance. Mais je ressentais cette attraction, fondée sur l’intuition que l’empire du Milieu recélait peut-être le secret de nos origines. J’en parlai à Yves Coppens qui me répondit : «Tu as raison, il faut aller là-bas». La science progressait et il fallait en rendre compte : dire que des peuplades asiatiques avaient franchi les premières le détroit de Béring, raconter la vie de nos ancêtres à travers celle de nos cousins chinois, en montrant qu’ils n’étaient pas les brutes épaisses que l’on croit, mais des êtres sensibles, subtils, sentimentaux…


Vingt ans plus tôt, Patricia Boutinard Rouelle, directrice à France Télévisions, m’avait commandé un 90 minutes sur les origines de l’homme. « Après les dinosaures, les Anglais sont en train de plancher sur nos ancêtres, alors pourquoi pas nous ? me dit-elle. Je voudrais un film sur les grandes étapes de l’évolution.» Proposition alléchante. Mais comment rivaliser avec Jean-Jacques Annaud, un des rares, avec Luc Besson, à tenir tête aux Américains ?

Avec La Guerre du feu, Annaud avait signé un film culte, presque indépassable bien que licencieux scientifiquement. Et puis, quelle légitimité avais-je ? Moi qui ne faisais aucune différence entre Néandertal et CroMagnon et pensais encore que Lucy était une chanson des Beatles. La boîte de production avec laquelle travaillait Patricia voulait un documentaire classique montrant Yves Coppens palabrant dans des grottes. «Pas question d’imiter leur meilleur film : La Vie des cervidés à Chambord, me dit Patricia, nous allons faire du tout fiction ! » Courageuse, elle osait bousculer les règles et l’intelligentsia du documentaire. Petit projet deviendrait gros.


Le défi me donnait le vertige. Je le relevai précisément pour cette raison. Avec Barthélémy Fougea comme directeur de production, nous formions une bande de cow-boys avec des méthodes de cow-boys.


Il me faudrait à nouveau allier l’information du documentaire à l’art de la fiction.


Des documentaires, j’en avais une trentaine à mon actif. D’abord des films institutionnels tournés dans le sud de la France, jusqu’à L’Adieu au pape qui me fit quitter Avignon pour Paris. Jean-Pierre Cottet fut le catalyseur de cette évolution, mon parrain, celui qui me donna ma chance. Je filmai grâce à lui les chevaux de Bartabas, bien avant le succès que connaît aujourd’hui le Fort d’Aubervilliers. Vinrent ensuite des portraits d’artistes forts en gueule : Armand Gatti à Avignon, Djuri au Bataclan, Maria Casarès, histoires d’actrice… J’éprouvais déjà le besoin de me rapprocher de mes sujets, de devenir mes personnages, de percer leur fibre. Pour offrir au spectateur une vérité à laquelle il ne s’attendait pas. Je tombais amoureux de Maria Casarès, si pleine de verdeur du haut de ses soixante-dix ans. Je la revois, à la sortie d’une répétition avec les élèves comédiens du Théâtre National de Strasbourg, petite femme intrépide, la clope au bec, le pantalon remonté jusqu’aux seins, s’exclamer : « Qu’est-ce qu’on apprend avec ces jeunes ! » C’était une infatigable chercheuse. Maria arrivait quatre heures avant de jouer, sa seule respiration consistant à sortir du métro une station plus tôt pour marcher jusqu’au théâtre. « Ce sont mes vacances… », me disait-elle les yeux pleins d’étoiles. Elle avait chez elle une tête de mort et, dans ses rares moments d’abattement, plongeait ses yeux dans ceux du crâne… qui lui redonnait goût à la vie. Un charme renversant, une énergie à tous crins et une sensibilité à fleur de peau. La voix de Casarès, cette mangeuse d’hommes, chevrotait au souvenir de Camus, son grand amour illégitime. Il y eut ensuite Le Printemps du sacre (1993), une rétrospective des plus grandes interprétations de l’œuvre de Stravinsky : Pina Bausch, Martha Graham, Maurice Béjart et Marie-Claude Pietragalla…




AO est un eastern, sorti en 2010, tourné entre Bulgarie, en Ukraine, en Camargue, dans le Vercors et les Calanques, retraçant la vie du dernier néandertalien. Point de documentaire cette fois, mais une pure fiction, coécrite avec Michel Fessler, vieux camarade d’écriture, et documentée sous le regard de Marie-Hélène Patou-Mathis, préhistorienne. Nous prenons la liberté d’accoupler un Homo sapiens et un Homme de Néandertal) pour leur donner une descendance alors que la science croit encore la chose impossible. Heureux coup du sort, les

avancées de la recherche nous donneront raison l’année de la sortie du film. En dépit de six ans de travail et d’un budget colossal, AO n’eut pas le succès commercial attendu. Éric Garandeau, alors conseiller culturel de Nicolas Sarkozy et aujourd’hui directeur général de TikTok, m’invita tout de même à participer à une tournée en grande pompe dans les grottes de Lascaux, en présence des dignitaires de la science. Le président de la République ayant adoré le film, je me retrouvai parmi les huiles du cortège officiel, entre Frédéric Mitterrand, Carla Bruni et les tireurs d’élite… Retour à Paris dans l’avion présidentiel, puis jusqu’à mon domicile dans une voiture officielle encadrée par des motards faisant fi des embouteillages ; on y prendrait vite goût.


L’Odyssée de l’Espèce est devenu un documentaire-fiction culte. Dans les écoles, les collèges, les facs, le film révèle nos origines à plusieurs générations d’élèves. Un paléontologue d’une trentaine d’années me confia un jour qu’il avait eu la vocation en le regardant du haut de ses dix ans… Ce regard porté sur nos ancêtres disparus correspond aussi à un besoin de l’homme moderne de comprendre d’où il vient, qui il est, à une heure où la société est de plus en plus frénétique.


La paléontologie est une discipline en perpétuelle remise en question. L’état des connaissances évolue de jour en jour. Si le genre Homo est apparu en Afrique il y a environ trois millions d’années, nous savons qu’au moins six espèces humaines ont cohabité sur le continent asiatique il y a un peu plus de cent mille ans. Homo erectus, Homme de Florès, Homme Dragon, Homme de Denisova… : nos lointains cousins coexistèrent, preuve

de l’incroyable diversité des espèces humaines avant leur extinction au profit d’Homo sapiens. Le crâne de Dmanissi – Homo erectus –, mis au jour en 2005 sur les contreforts

du Caucase, est ainsi vieux de 1,8 million d’années. Ce buissonnement est un phénomène unique qui montre que la préhistoire asiatique est un des volets essentiels de l’histoire de l’humanité. Poussés par la curiosité, s’adaptant aux changements climatiques et suivant les migrations des animaux, les premiers hommes ont parcouru des milliers de kilomètres à pied. Leurs découvertes sont parvenues jusqu’à nous et constituent ce que nous sommes.


Vingt ans après sa sortie, L’Odyssée de l’Espèce méritait d’être actualisée. La recherche avait progressé, non pas sur l’art de tailler les outils, mais sur la construction de nos comportements. Un nouveau film s’imposait. «Remettons notre titre en jeu, dis-je à Coppens. Cette fois, partons en Chine.» Le professeur battit des mains et l’aventure commença. Les Derniers Secrets de l’Humanité évoquent l’Homme de Pékin : Beijing Ren, 北京人, du nom des fameux fossiles découverts au Nord de la Chine en 1921. Le film commence il y a un peu plus d’un million d’années, lorsqu’une peuplade d’Homo erectus « invente » le feu, pour s’achever il y a trente mille ans, quand l’Homo sapiens d’Asie entreprend sa longue marche vers les Amériques à la faveur d’une grande glaciation. Si les ossements de l’Homme de Pékin ont malheureusement été perdus lors de la guerre sino-japonaise, ils font désormais l’objet d’un culte. Les Chinois ont dédié un musée à leur ancêtre, considéré par beaucoup comme le « Premier Chinois ». Coppens voulait comme moi montrer un homme préhistorique plus subtil et moins simiesque que celui de L’Odyssée. Un être doué d’intelligence sensible. On sait maintenant que les émotions sont bien antérieures à Homo sapiens. Erectus était déjà pleinement humain. Prémices de tendresse et d’empathie, échanges culturels entre tribus, douleur de la perte et de la séparation, bonheur de l’enfantement, invention de l’art… Le film devait dresser le portrait de notre architecture émotionnelle. Premier baiser. Première

larme…


Pacifiques, les clans qui nomadisaient à la surface du globe se montraient d’une incroyable hospitalité. Les différentes espèces d’humains s’enrichissaient mutuellement en partageant leurs connaissances. La préhistoire n’aime pas la guerre. À ce jour, aucun vestige témoignant d’affrontements claniques n’a été trouvé. Des sociétés idéales.

Écologistes avant l’heure, ils avaient une connaissance intime de leur environnement avec lequel ils vivaient en parfaite harmonie, ne prélevant à la nature que le strict nécessaire. «Est barbare celui qui croit à la barbarie», disait Claude Lévi-Strauss.


Yves Coppens et moi écrivons cette nouvelle épopée sous le regard attentif d’Antoine Balzeau, également paléontologue.

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