Dynamisme du langage tambouriné et de la palabre communautaire
- henrikalalobe2
- 31 août 2021
- 15 min de lecture
Dernière mise à jour : 29 janv. 2023
L’ « Elimbi esi ma tôpô mudi môô »
On peut dire qu’à travers les siècles, la liberté d’expression du peuple africain a subi trois grandes crises :
La liberté sous caution, sous les régimes féodaux, semi-féodaux et néanmoins communautaires de la période précoloniale ;
L’étouffement, par traumatisme colonial et dépersonnalisation, depuis l’arrivée et l’installation des premiers corsaires et pirates étrangers ;
Le bâillonnement (au nom de la « liberté », avec l’avènement des indépendances (octroyées, acquises ou conquises).
Face à ces trois formes de frustration, le peuple africain a opposé une résistance tantôt farouche, tantôt mitigée, tantôt malicieuse, jamais défaillante. En effet, aussi loin qu’on puisse remonter aux sources de l’histoire africaine, on retrouve toujours vivaces les manifestations de cette résistance. Au cours des âges et à travers tous les régimes, le peuples africain a toujours su utiliser, malgré l’oppression, les astres les plus subtiles pour dire, dans sa langue, avec son langage, ce qu’il pensait, ce qu’il sentait, ce qu’il voulait… grâce à ces astuces, transmises de bouche à oreille et par le truchement du langage tambouriné (dans les contrées où il se pratiquait), le peuple africain a pu déjouer, en les ridiculisant, les interdits les plus rigoureux et porter un libre jugement sur les êtres et les choses de son univers.
En ce temps-là, les structures sociales étaient telles que les moyens d’expression et d’information (d’information et d’expression orale, s’entend) contribuaient prioritairement à l’éducation du peuple, de « classe d’âge » en « classe d’âge ». Et même les rites secrets, réservés aux grands dignitaires (lesquels rites, d’ailleurs, servaient à consolider l’équilibre politique, religieux, socio-économique, culturel… de la communauté), finissaient par tomber avant terme dans le domaine public dès lors qu’ils étaient « devinés » par la voie de la voix du langage tambouriné et de la palabre communautaire.
Le raz-de-marée de la période coloniale va sérieusement ébranler les fondements de cette liberté. Tout est mis en œuvre pour conditionner la mentalité du peuple. Le seul modèle qu’on lui impose, sur le plan de l’expression, de l’information, comme sur tous les autres plans, est le modèle importé. Ses moyens traditionnels d’information et de formation sont jugulés. Parce qu’il ne comprend ni ne parle la langue de l’occupant, on décrète qu’il est analphabète, lui qui, dans sa civilisation originelle, a créé et façonné l’alphabet, la langue et le langage. Et pour le rendre plus vulnérable, on lui enlève par vivisection une partie de son être pour en faire un produit reluisant (les « élites occidentalisées ») qu’on entretient à grands frais dans un ghetto climatisé…
Comment s’en sortir ?
Le peuple, pendant ce temps, se tait, plongé dans le mutisme-des-langues-coupées. Et quand on demande à Dibobè-la-Ngambi, l’Araignée divinatoire, pourquoi le peuple se tait, pourquoi on lui a coupé la langue, Dibobè-la-Ngambi répond :
« Non ! on n’a pas coupé la langue au peuple. Le peuple se tait parce qu’il est mécontent. Le peuple ne dit mot parce qu’il ne consent pas. C’est la raison pour laquelle il émet, dents et lèvres serrées, ce long chuintement de mépris hautain qui fait trembler la terre, renverser les montages, courroucer les eaux, noircir le soleil, endeuiller la lune et ternir les couleurs de Nyungu, l’Arc-en-Ciel… »
Ne pouvant plus contenir son « mutisme-des-langues-coupées », le peuple se libère dans un formidable hurlement de colère et s’adresse à Batouala, son interlocuteur privilégié. Et voici comment lui apparaît Batouala, son interlocuteur de prédilection…
« … Batouala se dirigea à pas lents vers une hauteur qui dominait sur les plaines environnantes. Il y avait là trois « li’nghas » de grandeur différente. Il s’approcha de ces troncs d’arbre au cœur évidé, ramassa deux maillets qui gisaient par terre et, dans l’air immobile, frappa, sur le plus gros des trois, deux coups espacés, sonores. Un grand silence s’établit ensuite, qu’il rompit définitivement de deux autres coups plus secs, plus courts, suivis presque aussitôt d’un pétarade de tamtams de plus en plus vifs, de plus en plus impérieux, de plus en plus pressés, de plus en plus pressants, qui, ralentis et larges, se terminèrent, sans transition, sur le moindre des li’nghas, en un décrescendo rapide, fortifié soudain par la note finale de l’appel. Et voici que là-bas, là-bas, plus loin que là-bas, et plus loin encore, de toutes parts, à gauche, à droite, derrière lui, devant lui, des bruits semblables, des roulements identiques, des tam-tams pareils grondaient, essayant de se faire entendre, répondaient à l’appel entendu, les uns faibles, hésitants, voilés, imprécis, les autres compréhensibles et rebondissant d’échos en échos, de « Kangas » en « Kangas », - L’invisible s’animait.
« Tu nous as appelées, disaient ces rumeurs de tam-tams.
Tu nous as appelées…
Que nous veux-tu ?
Nous t’écoutons. Parle… »
L’Appel de Batouala (L’Appel des Hommes, l’Appel du Peuple) était la manifestation la plus éclatante de la liberté du langage tambouriné, dans une Afrique qui se voulait responsable à part entière de la recherche de son équilibre communautaire. Les « troncs d’arbre au cœur évidé » sur lesquels tous les Batouala de nos villages frappaient avec ferveur et détermination à l’aide des maillets-de-la-liberté, des coups sonores pour parler au peuple et l’interroger, ces merveilleux instruments, taillés avec soin dans les essences les plus résistantes de nos forêts, constituaient un gage permanent du souci de dialogue, c’est-à-dire de palabre communautaire qui animait toutes les collectivités appartenant au même arbre généalogique. Et comme, selon les trouvères-joueurs-de Mvêtt et les griots-historiens, les arbres généalogiques de toute l’Afrique se rencontrent en une seule et unique Racine-Mère, ce système de communication de la parole et de la pensée permettait de maintenir des liens vivaces entre les populations. Comme l’écrit un auteur français : « Parmi tous les modes ancestraux de la communication, le tam-tam africain est celui qui préfigure le mieux la presse parce que les messages qu’il transmet se propagent simultanément dans plusieurs directions. Il informe sur les événements petits et grands de la communauté, exprime ses joies et ses peines, rompt la monotonie de la vie quotidienne… »
LIBERTÉ DU LANGAGE TAMBOURINÉ ET DE LA PALABRE COMMUNAUTAIRE
Dans les contrées africaines où il se pratiquait, le langage tambouriné s’apprenait méthodiquement ; il avait ses écoles, ses pédagogues, ses érudits, ses historiens, ses virtuoses… et nécessitait de longues « lunes » d’études. D’une façon générale, les aînés se chargeaient d’y initier les plus jeunes. Chaque « classe d’âge » s’efforçait de s’y perfectionner par des séances communes d’entraînement dirigées par les vétérans de cet art ; ces séances étaient périodiquement suivies de joutes tambourinées qui permettaient aux participants des diverses « classes d’âge » de rivaliser de virtuosité et, surtout, de perfectionner leur science tambourinaire.
Du plus jeune au plus vieux, chaque habitant avait son nom tambouriné qui était soit le diminutif de son nom de village (c’est-à-dire le petit nom qu’on lui donnait à sa naissance et qui constituait son « maillon » dans l’Arbre généalogique communautaire), soit son surnom totémique. Il y avait toujours à travers les « noms tambourinés » un fait social (ou d’un proverbe à contenu historique ou éthico-social) lié à l’histoire de la communauté. Cette utilisation du langage tambouriné réparti dans toutes les couches et dans tous les actes de la population jouait le rôle de Bureau oral d’état civil, d’Archives des classes d’âge et assurait la présence quasi permanente du peuple et sa participation à la vie communautaire.
Grâce à d’habiles techniques patiemment élaborées, on était arrivé à établir un alphabet tambouriné comprenant un certain nombre de signes phonétiques conventionnels (une dizaine, disent les uns, plusieurs dizaines, disent les autres) qui variaient suivant les groupes linguistiques. C’est grâce aux multiples et savantes combinaisons phonétiques réalisées avec ces signes conventionnels qu’on a réussi à constituer des grands ensembles (sur le plan de l’étendue des collectivités villageoises) de langage tambouriné qui ont permis des réunifications importantes de parlers apparemment différents, ce qui a augmenté l’intercompréhension tambourinée entre tribus « éloignées » les unes des autres par des variétés dialectales de parlers.
On sait que le langage tambouriné comprenait plusieurs catégories d’expression correspondant aux divers aspects de la vie du peuple : selon qu’il s’agissait de l’invitation au travail communautaire, de l’annonce des jours de grand marché, d’un fructueux retour de pêche, du retour des chasseurs avec du bon gibier, de loisirs, de plaisirs et de jeux, de « récitals » de fables, contes et proverbes, de mariages, de naissances, d’épiphanies, d’initiation, de deuils, de cataclysmes, de guerres… le langage des « Belimbi » revêtait les accents particuliers, adaptés aux circonstances. Son expression variait à l’extrême, sans cesse enrichie par les créations inédites de la langue des hommes et du « langage » des choses et des animaux intiment mêlées à la vie du peuple.
Pour les mariages, les naissances et d’autres événements heureux, le langage tambouriné chantait l’enthousiasme, l’espoir, le bonheur, l’humilité devant « Nyambe-Dieu-Tout-Puissant » pour le remercier de sa mansuétude envers la communauté qui venait d’être enrichie par ces venues au monde. Les maillets, maniés par des mains expertes, couraient frénétiquement sur le « tronc d’arbre au cœur évidé », en signe d’allégresse et pour annoncer la bonne nouvelle aux tribus avoisinantes et leur demander avec insistance de la transmettre le plus loin possible, par monts par vaux, par-dessus les mers, les savanes et les forêts… Mais ils n’oubliaient pas, les maillets des événements heureux, de s’adresser solennellement à Dibobè-la-Ngambi (l’Araignée divinatoire) pour lui recommander de veiller sur les nouveaux mariés et les nouveau-nés et de les protéger avec vigilance contre les sorciers, ces hommes au cœur noir…
Les plaisirs et les jeux donnaient lieu à une effervescence toute particulière du langage tambouriné et le pittoresque de l’improvisation ne le cédait en rien à la vertigineuse ingéniosité des batteurs toujours à la recherche d’un vocabulaire rythmique endiablé, nouveau, inédit, truffé d’insinuations « pimentées » à l’adresse des êtres et… des choses de la vie quotidienne, imprégné d’une joie de vie communicative qui fait oublier momentanément les soucis des uns et des autres et fait naître dans l’assistance une trépidante ambiance de bien-être…
Le langage tambouriné des fables, contes et proverbes était très riche d’enseignement – et par conséquent très éducatif pour les jeunes « classes d’âge » en voie d’initiation ; en ces occasions, il racontait, parlant par paraboles, les faits divers de la vie communautaires, empruntant astucieusement l’état civil d’animaux familiers pour illustrer les comportements, bons ou mauvais, des hommes et des femmes ; ce faisant, il tirait des leçons de morale profitables à tous ; il ne manquait jamais de dénoncer et de fustiger les fléaux (sorcellerie, despotisme, adultère, délation, calomnie, mensonge, trahison…).
Pour l’invitation au travail, le langage des « Belimbi » revêtait un caractère spécial, direct, pressant, pour stimuler dans la population l’ardeur au labeur : il retraçait, en les exagérant volontiers, les légendaires performances des légendaires bâtisseurs du pays et lançait un retentissant défi aux « classes d’âge » montantes en flattant leur endurance au travail et en les invitant à égaler, sinon à dépasser, les prouesses de leurs aînés et d’entrer à leur tour dans la légende. Ce procédé n’omettait pas de dénoncer, par des portraits satiriques, les resquilleurs, paresseux et autres parasites. Mais sa plus grande efficacité résidait surtout dans l’explication de la Genèse du Travail communautaire par l’énumération solennelle des « racines » et des principales « branches » de l’Arbre généalogique des grands bâtisseurs de la communauté.
L’épopée du travail communautaire était-elle plus chantée, plus exprimée, plus enseignée que l’épopée de la guerre ? On ne saurait le dire. En cas de guerre, le langage tambouriné se faisait tour à tour énigmatique, martial, mystique, « magique » (c’est-à-dire occulte) et se donnait des accents virils pour exalter les vertus guerrières des « classes d’âge » mobilisables. Il s’agit, en effet, toutes proportions gardées, d’une véritable préparation psychologique au cours de laquelle on évoquait les fabuleux exploits des héros légendaires disparus. Leurs faits d’armes étaient présentés comme surnaturels – et il fallait que les « classes d’âge »mobilisables, ou du moins leurs capitaines, accèdent au surnaturel, pour égaler ou dépasser leurs glorieux devanciers. Les messages tambourinés s’exprimaient alors dans un langage ésotérique, dans des onomatopées cabalistiques puisées dans la langue secrète transmise par les aïeux et jalousement conservée par les Grands Dignitaires du Sanhédrin de la Communauté… (On raconte, par exemple, chez les Duala, Cameroun, que la vulnérabilité de tel ou tel chef de guerre était cachée dans … le soleil ! Pour tuer un tel chef de guerre, il fallait l’atteindre par une flèche lancée sur le soleil et capable, non seulement de toucher l’astre du jour, mais de le transpercer de part en part jusqu’à ce qu’il saigne et que le sang de sa blessure coule sur le terre…) La « narration » d’une telle légende par le truchement du langage tambouriné laisse deviner la solennité de la cérémonie et le caractère surnaturel et galvanisateur qu’elle pouvait provoquer… En fait, il semble qu’il s’agissait avant tout de sécurité militaire communautaire. On sait ce que cela signifie dans tous les pays du monde et en tout temps…
Quand planaient sur le pays les mauvais présages annonciateurs de grands deuils et de grands cataclysmes, la pleine lune était entourée d’une couronne de sang. Alors les Belimbi se mettaient à pousser de lugubres lamentations qui plongeaient les populations dans la consternation et la peur. Les maillets de bois « s’endeuillaient » et n’émettaient plus que des sons si tristes que personne n’osait plus sortir de sa case et qu’une nuit noire et permanente tombait sur tout le pays dont les sanglots s’entendaient à mille lieux à la ronde, transportés par les oiseaux et les vents… Veillée après veillée, neuvaine après neuvaine, la vie revenait lentement, timidement, et les occupations reprenaient. Timidement, graduellement, le langage tambouriné renaissait pour donner foi et courage aux hommes et aux femmes.
La palabre communautaire, aussi, renaissait. En réalité, elle ne s’arrêtait jamais de vivre pendant ces lugubres périodes ; elle changeait seulement de physionomie et de lieu pour rechercher dans le secret les causes des malheurs subis par le peuple. Elle interrogeait l’Oracle pour découvrir le ou les sorciers coupables, pour leur faire subir le châtiment qu’ils méritaient. En effet, les verdicts de la palabre communautaire, Tribunal du peuple, par le peuple et pour le peuple, étaient respectés et acceptés par tous. Quand ils étaient prononcés, le langage tambouriné les annonçait à toute la population.
Cela se passait ainsi – ou à peu près – pendant l’ère précoloniale. Et sous l’ère coloniale ?
TENTATIVES D’ÉTOUFFEMENT DU LANGAGE TAMBOURINÉ ET DE LA PALABRE COMMUNAUTAIRE
On imagine un peu l’agacement du « colonisateur » devant l’hermétisme d’un tel système de communication. Dans la précipitation de la conquête et des pillages qui s’ensuivent, il a appris ou fait apprendre à des mercenaires le « patois » du « colonisé ». Car il ne peut s’agir de langue chez ce dernier : un « colonisé » n’a pas de langue. Par le truchement de ses mercenaires, blancs et noirs, et de ses missionnaires, le « colonisateur » va donc pouvoir dialoguer avec le « colonisé » ou plutôt lui faire transmettre ses ordres. Quand aux bruits monotones des tam-tams qui dérangent sa sieste et son sommeil, il les fera taire « chaque fois que besoin sera », par l’envoi d’ « expéditions punitives » dans les villages où sont installés ces maudits tam-tams. Car le colonisateur, drapé dans sa « civilisation conquérante », ne sait pas encore que ces maudits tam-tams qui osent perturber sa sieste sacrée et son sommeil royal parlent le plus subtil des langages. Quand il le saura…Nous n’en sommes pas encore là ! Pour le moment, ce sont les « patois » des « indigènes » qui préoccupent notre « conquérant hautain.
Les langues africaines – appelons ces « patois » par leur nom – ont subi trois sortes de traumatismes sous l’ère coloniale.
Ceux qui pratiquaient la colonisation par l’assimilation tenaient à les faire disparaître purement et simplement pour les remplacer par la « langue du colonisateur », seule et unique « langue de civilisation ».
Ceux qui appliquaient le système de l’administration indirecte essayèrent de développer sans conviction les langues africaines et donnèrent un enseignement embryonnaire aux « colonisés », dans la « langue du colonisateur ».
Enfin ceux qui, pratiquant systématiquement l’excès opposé à l’assimilation, développèrent massivement les langues africaines (ou ce que leurs missionnaires considéraient comme telles), tout en réduisant presqu’à néant l’enseignement des langues européennes des « colonisés », réussissant ainsi à couper ces dernier de tout véritable contact avec le monde extérieur (l’Europe) et en les laissant stagner dans leur ghetto.
Dans le premier groupe, on trouve notamment la France et le Portugal – et aussi l’Espagne ; dans le deuxième, la Grande-Bretagne et l’Allemagne ; dans le troisième la Belgique et les Africains d’Afrique du Sud.
Et le langage tambouriné. Eh bien ! Le langage tambouriné a échappé à ses traumatismes. Pourquoi ? Parce que si, par un travail opiniâtre de ses mercenaires et de ses missionnaires, le « colonisateur » est presque arrivé à domestiquer certaines langues africaines, à les déformer et transformer à sa guise, il lui fut impossible de réussir la même opération sur le langage tambouriné, à cause de sa complexité, de son agilité, de sa mobilité, de son caractère insaisissable et énigmatique, de sa richesse puisée dans un terroir impénétrable pour l’étranger et sans cesse renouvelée, remodelée, réinventée, réadaptée aux événements par les maîtres de la science tambourinaire, ce qui permit à ce langage de déjouer, contourner, ridiculiser le prestige du « colonisateur ».
À partir du moment où ce dernier se rendit compte de l’efficacité, pour les « colonisés », du langage tambouriné, il s’est employé à le faire taire par tous les moyens, ou au moins à décoder les messages de désobéissance communautaire que les li'ngha ne cessaient d’émettre. De temps à autre, les mercenaires du « colonisateur » réussissaient à décoder quelques-uns de ces damnés messages, mais à peine s’apprêtaient-ils à exploiter leur victoire et consolider leur domination, que le langage tambouriné « changeait d’alphabet » et inventait d’autres astuces pour échapper à la strangulation…Et le peuple, unanime, ricanait sous cape en défilant malicieusement devant le casque colonial du « commandant » dont les antennes avaient été incapable de déchiffrer les messages codés de rébellion permanente répandus dans les villages par les « Belimbi ».
Pour arriver à bout de ce diabolique instrument, le colonisateur dut avoir recours à des mesures draconiennes d’extermination de populations tout entières, mesures barbares que les joueurs de Mvett relatent encore avec horreur aujourd’hui.
RÉSISTANCE DU LANGAGE TAMBOURINÉ
D’après ce que mes oncles m’ont raconté, des cas de résistance du langage tambouriné furent fréquents, au Kamerun sous protectorat allemand, au cours de conflits qui opposèrent les populations autochtones à l’administration coloniale allemande. Ces conflits atteignirent leur point culminant en 1914, à propos de l’expropriation des terres appartenant aux Duala. Lorsque cette affaire éclata, toute la population duala et apparentée fit unanimement écho aux accents du langage tambouriné qui l’appelait à la résistance, pour faire échec aux brutales méthodes d’intimidation employées par l’administration coloniale d’alors. Tous les câblogrammes confidentiels, que cette dernière envoyait à (ou recevait de) Berlin, étaient interceptés par les fonctionnaires autochtones qui prenaient copie pour le Mandataire des intérêts du peuple duala, le roi Rudolf Duala Manga Bell. Inutile de dire que, ce faisant, ces fonctionnaires couraient un risque inouï. Le contenu de la correspondance ainsi interceptée était traduit en langue duala et retransmis par code tambouriné (sous l’indicatif : « O was’a pian, Tchông !... Owas’a Mucôkô, Tchông ! »…) aux responsables des réunions clandestines qui se tenaient sans désemparer dans les quartiers et les villages de la ville. Dès qu’un villageois captait ce message, il savait que quelque chose était caché sous un feuille morte, sous un tronc d’arbre… et qu’il fallait être vigilant et discret pour transmettre sans encombre ledit message à qui de droit. Ce réseau de transmission de messages était si bien organisé et la population concernée si consciente du rôle qu’on lui demandait de jouer pour la sauvegarde du patrimoine communautaire (tout traître était condamné à mort et exécuté après une sentence rendue par le Ngondo, assemblée traditionnelle du peuple duala), que l’administration coloniale allemande n’arriva jamais à le dépister, malgré les tentatives de corruption déployées par von Boehm, chef de la circonscription de Duala et par le gouverneur Ebermayer, chef du territoire. On sait qu’au comble de l’événement, devant la résistance du peuple duala et de son mandataire, Ebermayer accusa Duala Manga Bell de… « haute trahison ». Le roi Rudolf Duala Manga Bell fut pendu à Duala, le 8 août1914, après un simulacre de procès…) Mais le langage tambouriné ne se tut jamais ! Il continua à glorifier la bravoure du roi martyr et de son vaillant peuple. – Beaucoup d’enfants duala, nés pendant la période d’août 1914, portent les prénom et nom de Rudolf et Duala.
Hymne en l’honneur du roi Rudolf Duala Manga Bell, composé par Martin Lob’a Bébé Bell.
TET’EKOMBO !
I
Tet’Ekombo. Yêh ! Sango’Ekombo !
Di meya Oa, yêh ! di’a lêbê Oa !
O Sibanê Ekombo’angô nà bôti,
Oa-mênê o tê pê na Dikôti.
Pô’angô nya NGUM sô nde
E nanga’ wase nan,
Aba ! Nga Nja sô nu ma pôndê mô ?...
Ekombo esi ma sawea Sango tô Muna
Buka Njan,
Misima m’ao mi pep inde bên-ba-bato.
Diwengsan la man mêsê
Di we nde na Tetê Yahweh,
Nà Kwed’angô tô Sôngô
Basi polônê !...
II
Bodu bwaba n’esôdisôdi…
A NGOSO, yah ! tô diêlê Mba !...
Di langweye Ba-Mbambê miango
Nà nika nde e timbi nô’ bê…
Di sômônê « MBONGO » o Muka ma Yesu :
Dongo a’abi nô di bulabêbê !
Bawenya na Bawedi ba ni tusabê
Masango m’abu ma ni dumbabê !...
Ne tê’ kwala, O bawêlê,
Natêna kwang nbong’a baba e dubabê.
Mbako’a Yahweh a busi nà :
Yi Ndengê di ma kusa nô
I timbe nde Misima
Ma Bana b’asu
III
Binyô Makôm ! lo bi môngêlê
Ma Bana ba Africa (1) bêsê.
Embê nde ! losi bôbisé !...
Akwanê pê Loba jongwanê.
Tô nja nu timbisê mômênê ka Yuda.
Su I’ao di ma bê pê nde ka la Yuda.
Ba-ju ba taki bebwea ba mbu benêi,
Sango ombo nôn Pharao a timbi’ wô !...
Sango E pôn nde o jombwa
Nga di lakisanê na Mô.
Têyê Mô misia, A m’ongwanê na pêm !
Ba-tusê bisô bêsê pê
Ba ma bumba nde nâ mênê !
Nde Bisô di kumwa
Tomba Esimo !!!...
PÈRE DU PEUPLE !
I
Père du Peuple ! Maître du Peuple !
Nous te pleurons ! nous te vénérons !...
Tu as guidé ton Peuple avec sérénité
Et tu as, Toi-même, fixé la Rançon…
Voici maintenant ton sceptre posé par terre,
Hélas ! Qui le relèvera…
Le Pays ne paie ni le Père ni le Fils
Mais les apatrides.
Sa Fortune ne sourit qu’aux étrangers.
Puisse la fin de nos misères
Venir de Notre Père Yahweh
Puisse Ta mort martyre être notre Salut !
II
Le Voyage sera long et solitaire…
Ngoso ! viens ! viens m’accompagner !...
Nous dirons à nos Ancêtres
Que le Pacte sacré a été bafoué.
Devant Notre Seigneur nous accusons les « hommes pâles » :
Le Partage qu’il a fait a été violé !
Nos Vivants et nos Morts sont déshérités !
Leurs Biens sont usurpés !...
Nous serons deux accusateurs
Et, comme aux temps anciens,
Notre double témoignage sera le gage de notre Message.
Et le verdict de Yahweh dit que :
Les souffrances que nous endurons
Deviendront le bonheur de nos enfants !...
III
Vous, mes amis ! Vous connaissez les aspirations
De tous les enfants de l’Afrique (1)
Tenez bon ! Ne faiblissez pas !
Implorez l’aide de Dieu !
Celui qui se transforme en Juda
Aura une fin de Juda !...
Les Juifs on souffert des siècles et des siècles,
Mais quand Dieu le voulut, Pharaon mourut !...
Dieu nous a mis à l’épreuve
Il veut savoir si nous croyons en lui.
Crions-lui nos misères, il nous aidera !
Et nos bourreaux, comme Pharaon, périront !
Alors, libérés, nous chanterons enfin victoire !...

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